Les filatures n’ont plus grand-chose à voir avec les affaires sentimentales. Aujourd’hui, un autre terrain occupe de plus en plus les détectives privés : les fraudes aux arrêts maladie. Sollicités par des entreprises soucieuses de protéger leurs finances, ils s’adaptent à cette nouvelle demande qui bouleverse leur métier. Derrière chaque dossier, se mêlent enjeux économiques, questions de confiance et climat social sous tension.
Pourquoi les fraudes aux arrêts maladie attirent désormais les enquêteurs
Fabrice Lehmann, détective depuis 1994, suit un salarié censé être en arrêt, affirme bfmtv.com. L’homme quitte son domicile de banlieue, habillé pour le travail. Train, ordinateur portable ouvert, métro bondé : la filature se complique. À l’arrivée d’une rame, la cible monte puis redescend aussitôt, manœuvre furtive qui fait disparaître l’individu dans la foule.
Reuters a interrogé cinq détectives ; tous constatent un boom des contrats liés à ces dossiers. Plusieurs agences abandonnent les affaires conjugales pour se recentrer sur ce marché. Chez Baptiste Pannaud, ces missions ont plus que doublé en quatre ans. Dans ce contexte, le mot d’ordre reste la discrétion, car les suspects sont souvent des profils qualifiés, mobiles, avertis des risques et rompus aux usages numériques.
Le gouvernement fait de la lutte contre la fraude une priorité, afin de réduire le « trou » de la Sécu. Les entreprises suivent, car elles complètent souvent les salaires. « Dans l’entreprise ou dans le couple, c’est une affaire d’argent et de trahison », résume Lehmann. Les fraudes aux arrêts maladie deviennent alors un terrain où s’entremêlent enjeux financiers, réputation interne et climat social, sous pression croissante.
Ce que disent les chiffres sur les fraudes aux arrêts maladie
La Cnam observe une hausse de 27,9 % des indemnités journalières entre 2019 et 2023. Selon elle, 60 % proviennent de facteurs démographiques et économiques : population salariée plus nombreuse et plus âgée, salaire moyen et Smic en hausse. Le reste découle d’une augmentation des arrêts et de leur fréquence, ce qui alimente les inquiétudes.
Dans un rapport de mars, la Cnam dit avoir détecté et évité 42 millions d’euros de fraudes en 2024, contre 17 millions l’année précédente. Le chiffre pourrait sous-estimer le phénomène, car le renforcement des contrôles n’a vraiment débuté qu’en 2022. Pendant ce temps, les entreprises mandatent des détectives, afin de documenter des faits précis et préparer d’éventuelles démarches internes.
Sur le terrain, les situations varient. Lehmann voit des salariés travailler pour des concurrents durant l’arrêt, tandis que d’autres lancent leur propre société. Son confrère Patrice Le Bec a déjà observé des départs en vacances juste après la délivrance d’un arrêt. Ces exemples nourrissent les dossiers, car ils relient comportements et preuves, puis éclairent la décision des directions.
Coûts supportés, sanctions incertaines et débat sur l’absentéisme
L’indemnité journalière maximale atteint 41,47 € par jour, jusqu’à trois ans. Les employeurs complètent souvent une part du salaire pendant une durée définie et, selon les branches, prennent en charge les trois jours de carence. En 2024, l’IGF note 14,5 jours d’absence par agent dans le public en 2022, contre 11,7 dans le privé, différence liée au seul jour de carence côté fonction publique.
Aussi, en Allemagne, les salariés ont cumulé 14,8 jours d’arrêt en 2024. En France, François Bayrou a déclaré en juillet que la moitié des arrêts de plus de 18 mois seraient injustifiés, sans détails. Pour le détective Bruno Boivin, viser les médecins « fraudeurs » est « absurde », car les actes sont rarement sanctionnés. Dans un service de transport public, 30 % du personnel était en arrêt ; malgré des flagrants délits, aucune sanction n’a suivi.
Son agence a aussi cherché un salarié absent depuis dix ans, revenant seulement tous les trois ans pour renouveler une voiture de fonction. L’absentéisme s’est accru depuis le Covid : baromètre Mercer à 5,8 % en 2024, contre 4,8 % en 2021, et 31 % des salariés absents au moins une fois. Pour l’économiste Jean-Claude Delgènes, le management trop vertical pèse ; la médecin Sabrina Ali Benali juge la fraude généralisée fantasmatique, malgré cas et fraudes aux arrêts maladie avérées.
Clarifier les règles, mieux manager et cibler les abus réels
Entre contrôle public, intérêt des entreprises et santé des salariés, l’équilibre reste fragile. Les chiffres progressent, mais les sanctions peinent, ce qui alimente la défiance. Mieux outiller les contrôles, clarifier les pratiques médicales et moderniser le management peuvent réduire les tensions. Le débat continue, car les fraudes aux arrêts maladie existent, tandis que la majorité réclame confiance et conditions de travail dignes.